Origine et enfance
Mes parents se sont rencontrés à Marseille. Ma mère est domiciliée 1 rue de la Gavotte. Ils fréquentaient le quartier près de la Samaritaine. Dominique Givaudan le blanchisseur et Nicolas Huriot le miroitier, et Guillaume Party des faubourgs, seront témoins de leur mariage.
La rue de la Samaritaine part de la place du Cheval Blanc et va aux rues des Gavottes et de la Couronne. L'ancienne fontaine, que l'on voit dans un recoin, représente le Sauveur et la Samaritaine, d'où son nom. Il reste quelques traces de la sculpture. Le lavoir est très fréquenté.
En 1753, mon père Jean avait quitté Bédarieux pour se rendre à Marseille, vivre place de l'Homme et exercer son métier de menuisier. Il était présent au mariage de sa sœur Marie qui s'est mariée avec le vitrier Jean-Pierre Pons de Bédarieux en 1765. Mon père se déclare maître menuisier. Ma mère, Marie Mégé, analphabète, était originaire du quartier de l'église Saint-Martin, où ils se marient le 25 août 1767. Elle était la fille d'un voiturier de la rue du Petit Saint-Jean, Laurens Mégé, qui avait épousé Claire Jaume, une fille de son quartier de 28 ans sa cadette. Ils s'étaient aussi mariés dans cette même église en 1744, la communauté paroissiale comptait 40 000 fidèles. Peu avant sa démolition en 1887, cette église mesurait 47 m de long, 35 m de large et 15 m de haut. La surface occupait environ 1 350 m2 et pouvait accueillir 2 200 personnes.
Mon père, Jean, était le fils d'un menuisier, Jean François, et de Madeleine Vech, tous deux de Bédarieux.
À Marseille, malgré la diversité relative de la « cuisine provençale », l'aliment de base était comme ailleurs l'énorme ration quotidienne de gros pain lourd, trempé dans une « soupe » qui ressemble plus ou moins à de l'eau chaude. Ma grand-mère, par nostalgie de la sienne plus que par nécessité, en faisait encore parfois la qualité moyenne : beaucoup de tranches de pain, qu'elle arrosait avec de l'eau où avaient bouilli longtemps une galinette et du fenouil. À défaut de la galinette, les crabes que la côte fournissait gratuitement permettaient à tous cette variante carnée côtière de la soupe au pain.
En mars 1769, Marseille est en proie aux horreurs de la mort, une terrible épidémie : la peste. Mes parents décident de retourner à Bédarieux.
Je suis né le 16 septembre 1770 à Bédarieux. À mon baptême, mon oncle, Jean François, qui est mon parrain était représenté par son fils Jean-Pierre, mon cousin. Ma tante Marie était ma marraine.
Ma sœur Marguerite naît en 1773 à Bédarieux. Puis le 20 février 1775, ma sœur Marguerite Françoise Marie naît à Montpellier. Puis mes parents allèrent s'installer à Saint-Gaudens en Haute Garonne où naît ma sœur Marie Jeanne en 1777.
La bataille des frontières
La loi des 13 et 19 janvier 1791 reconnaissait la liberté de l'industrie théâtrale, mais le décret du 8 juin 1806 rétablissait le régime du privilège. Si la censure n'est pas abolie - elle est même bien présente -, la tutelle administrative responsable de son application apparaît moins rigide et moins tatillonne.
Le 20 septembre 1792 une armée prussienne, commandée par le duc de Brunswick, essaye de marcher sur Paris. Les généraux Christophe Kellermann et Charles François Dumouriez réussirent à arrêter l'avancée prussienne près du village de Valmy, en Champagne-Ardenne.
Le 21 septembre 1792, la nouvelle parvient à Paris. Assurée de la sauvegarde du pays, sûre de sa force, la Convention nationale proclame l'abolition de la royauté, à laquelle se substitue la République. Kellermann passe pour le sauveur de la patrie.
Le 06 novembre 1792, l'armée révolutionnaire française, constituée de 40 000 volontaires et commandée par Dumouriez, remporte la victoire de Jemappes contre l'armée autrichienne.
Le 9 novembre, le bulletin de la convention annonce la victoire de Jemappes et la prise de Mons. Le 11 novembre 1792, Nancy célèbre la fête de la victoire sur la place de la Liberté, donne un Te Deum d'actions de grâces en l'honneur de Jemappes, et organise, dans un geste de générosité magnanime, une quête au profit de 136 prisonniers hessois, récemment capturés et dirigés sur la citadelle de Nancy.
Les autorités locales dressaient la liste de leurs émigrés et commençaient à disperser leurs meubles aux enchères.
Le 12 novembre 1792 est né Jean Georges Fanjaud, que je légitime à mon mariage le mois suivant. Les bans ont été publiés à Sarrebourg le 25 novembre 1792.
Le 4 décembre 1792, à l'âge de 21 ans et trois mois, musicien de profession, domicilié de fait à Phalsbourg, j'épouse Marie Baumayer née le 2 décembre 1774 à Sarrebourg, fille d'un huissier au tribunal de district demeurant à Sarrebourg (ville de 1500 habitants à la frontière prussienne), Jean Georges et Marie Breton. Les témoins sont un procureur, un huissier et un sculpteur, tous mosellans.
La Moselle de 1790 n'est qu'un morceau d'un espace lorrain bien plus vaste. Elle est l'un des quatre départements lorrains laborieusement mis en forme en décembre 1789. La Moselle de 1790 est traversée par une frontière linguistique de part et d'autre d'un axe nord-ouest/sud-est allant de Thionville à Sarrebourg. En 1806, plus du tiers de la population se situait en zone germanophone.
La présence massive de l'armée dans cette zone stratégiquement essentielle à la défense du royaume (« Metz couvre l'Etat » écrivait Vauban), implique la présence d'une multitude de musiciens régimentaires.
La bataille de Valmy (1792)
Sarrebourg, ville frontière
En 1795, mes parents se sont installés à Montpellier. Mon père exerce le métier de luthier. Le 19 mars 1797, à onze heures du soir, mon père Jean, âgé de 63 ans décède à Montpellier dans la maison Goulard rue de la République. Les témoins sont Pierre Martin tailleur âgé de 61 ans et Alexandre Palliés tailleur âgé de 32 ans.
Rencontre avec Sophie Vauclin, enfant de la balle
Le 15 juillet 1807, à Saint Quentin dans l'Aisne, Sophie Vauclin, artiste dramatique, donne naissance, hors mariage, à Louise Sophie Léontine. Sophie Vauclin est née à Brest le 8 janvier 1782, où ses parents étaient domiciliés. Son père Alexandre Vauclin, est originaire de la paroisse de la Madeleine à Rouen.
En juillet 1809, je suis musicien et nous sommes domiciliés à Avignon. En 1810 nous sommes domiciliés à Narbonne. Début mai 1811, nous sommes domiciliés à Perpignan. Je suis musicien au spectacle.
Depuis la fin du 18e siècle, c'est la Loge de Mer qui faisait office de théâtre à Perpignan. Le 24 juin 1811, Sophie donne naissance à Jeanne Antoinette Elisabeth. Je déclare sa naissance deux jours plus tard. Je confie notre fille à un père nourricier Jacques Labroué demeurant à Cabestany.
En 1811, on joue, au théâtre de Nîmes, la première de Rien de trop, opéra de Boïeldieu. L'année de 1812 le fut par la première de La Vestale de Spontini. En 1813, on reprend Le Philinte de Molière, de Fabre d'Eglantine, et le lendemain, en l'honneur de la mort de Grétry, on joue deux pièces de ce compositeur : Silvain et Zemire et Azor.
Le 9 juin 1813, à cinq heures du matin, Louise Séraphine naît dans notre maison, section dix n°33 à Nîmes. Je déclare sa naissance avec Jean Herail, artiste âgé de 46 ans, Jean Rousselot artiste âgé de 46 ans, tous deux domiciliés à Nîmes.
L'exil aux Antilles
Le 8 avril 1815, à sept heures du soir, Sophie donne naissance à Gabriel Hypolite à Nîmes. Je suis absent car musicien en campagne. Les déclarants sont Antoine Ferda, chirurgien accoucheur domicilié à Montpellier, Jean Rousselot artiste âgé de 48 ans, et Gabriel Vaquet artiste âgé de 35 ans, tous deux de Nîmes.
J'ai alors décidé de répondre en 1816 à une offre avantageuse de contrat de chef d'orchestre pour le tout nouveau théâtre de Saint Pierre de la Martinique. Afin d'honorer ce contrat, je me suis rendu en janvier 1817, à l'âge de 46 ans, au Havre de Grâce, après quatre longues journées de diligence. Parvenu au Havre de Grâce, j'ai embarqué sur un voilier en direction de la Martinique.
Pour atteindre cette île, j'ai vécu 8 jours de navigation monotones. Cette traversée de l'océan, qui m'a permis de m'habituer au mal de mer, s'est achevée dans la rade de Saint Pierre, capitale de la Martinique et principale ville des Antilles.
Voyage à la Guadeloupe 1848, par Félix Longin
Récit similaire d'une traversée de l'époque« Tout ce que j'avais lu dans divers ouvrages sur les pays équatoriaux m'avait donné l'envie d'y voyager un jour. Je demandai et j'obtins des lettres de recommandation près les autorités de la Martinique et de la Guadeloupe et je m'embarquai au Havre de Grâce, le 5 octobre 1816, sur le navire l'Auguste de Honfleur...
Nous n'éprouvâmes aucun gros temps sur la Manche : une brise légère nous en sortit en peu de jours ; mais, dans le golfe de Gascogne, nous essuyâmes un coup de vent qui, heureusement, nous inspira plus de craintes qu'il ne causa d'avaries...
Après avoir doublé le cap Finisterre et atteint la région des vents alizés, nous eûmes constamment beau ciel et belle mer... Arrivés au tropique du Cancer, il fallut se soumettre à une cérémonie en usage sur tous les bâtiments : c'est le baptême du tropique... Enfin, le jour parut : c'était le 11 novembre ; nous nous trouvâmes devant la rade de Saint-Pierre. »
En septembre 1816, octobre 1817, la Martinique connaît 2 tempêtes d'intensité modérée. Cette île, après une occupation anglaise de 5 années, est restituée à la France depuis mai 1814.
Le Théâtre de Saint-Pierre
Au 18e siècle, dans les îles, les spectacles sont souhaités par les colons, encouragés ou soutenus par les autorités et prisés par les comédiens et musiciens d'Europe qui viennent par dizaines se produire dans les salles.
Description par Moreau de Saint-Méry
« La salle de la comédie de Saint-Pierre est construite en maçonnerie. Elle a 124 pieds de longs et 60 pieds de large... La salle est absolument modelée sur la Comédie-Française de Paris. Elle est de forme circulaire jusqu'à l'avant scène. Le théâtre a 36 pieds de large hors des coulisses et 45 pieds de long.
Il y a quatre rangs de loges... Chaque rang de loges peut contenir 130 personnes et le parterre 350. Aussi le spectacle tout rempli peut recevoir 900 personnes. »
Théâtre de Saint-Pierre avant 1902
Plan du théâtre (Moreau de St Méry)
Le 20 octobre 1819, le gouverneur administrateur décide de porter concession d'un nouveau privilège des théâtres de la Martinique en ma faveur. Ce privilège est accordé pour trois ans. J'ai le titre de chargé d'affaires d'une société d'artistes dramatiques, formée tant de ceux déjà dans la colonie que ceux qui y sont appelés.
La Fièvre Jaune
Pierre LEFORT, médecin du roi (1826)
« La ville de Saint-Pierre... assise sur le bord de la mer, et adossée à des montagnes fort élevées... Le mouillage est la partie de Saint-Pierre la plus populeuse et la plus marchande ; elle est aussi la partie la plus basse, et comme la sentine... C'est ainsi que les vents tombent au sud, que la chaleur et l'humidité s'élèvent au plus haut degré aux Antilles... Conséquemment se trouvent réunies toutes les causes générales et locales de la fièvre jaune. »
Une fin mystérieuse
Le 23 août 1832, Sophie, marchande de nouveautés, domiciliée à Nîmes section 1, déclare devant le juge de paix du premier arrondissement cantonal de Nîmes, mon inhumation à Saint-Pierre en 1818 après avoir contracté la fière jaune. Les témoins sont Gabriel Mirrer Vaquez professeur de musique âgé de 52 ans, Claude Méffre artiste musicien âgé de 53 ans, Alexandre Paris professeur de musique de 38 ans, Louis Dumont, perruquier âgé de 70 ans, tous originaires de Nîmes.
Cette déclaration de disparition permit à ma fille de se marier le 15 janvier 1833 à Cabestany avec Jean Baptiste Sagui.
Le 5 septembre 1837, Sophie est domiciliée à Montpellier et fait acte chez le notaire Grapete pour consentir au mariage de sa fille Louise Séraphine avec Antoine Eugène Lauze, tailleur d'habits le 25 septembre 1837 à Nîmes. Les témoins sont Gabriel Varquiez professeur de musique âgé de 57 ans.
Le 17 août 1854 à 11h du matin, à Cabestany, Elisabeth dite Louise décède à l'âge de 42 ans d'une maladie contagieuse. Elle était inhumée le lendemain à 07h du matin.
Le 5 juin 1869, à une heure du matin, Sophie décède à son domicile de Nîmes, 8 place du Château. Déclaration faite par son petit-fils, Hippolyte Lauze, employé au chemin de fer âgé de 30 ans.
Le Courrier du Gard, 9 juin 1869